Michel Onfray : Le crépuscule d’une idole
Publié le 20 août 2010 par Alexandre dans la (les) catégorie(s) Uncategorized

À sa première année au lycée, après quatre ans passés dans un orphelinat de prêtres salésiens « dont certains étaient pédophiles » (p.15), Michel Onfray dira avoir été sauvé par la découverte de trois auteurs : Nietzsche, Marx et Freud. Ce dernier lui fit comprendre que « la sexualité pouvait se penser dans la clarté lumineuse d’une anatomie amorale, sans souci de Dieu ou du Diable, sans menaces, sans craintes, sans peurs associées à l’appareil répressif de la morale chrétienne » (p.17). La lecture des Trois essais sur la théorie de la sexualité marquera une étape importante dans la vie d’Onfray :
« Trois essais sur la théorie de la sexualité fut mon premier livre lu, ma première conversation avec un homme qui semblait me parler en propre : les enfants ont une sexualité, la masturbation incarne un moment nécessaire dans l’évolution psychique d’un être, l’ambivalence dans le cheminement pour construire une identité sexuelle passe par des expériences homosexuelles d’occasion, tout cela illuminait mon existence en effaçant d’un seul coup des années de puanteur chrétienne, d’haleine avinées ou de bouches pourries de prêtres qui, chaque semaine, derrière le grillage du confessionnal, soumettaient à la question les six cents enfants que nous étions pour obtenir des aveux d’onanisme ou de tripotages » (p.20).
Une fois adulte, Michel Onfray enseignera pendant vingt ans les théories de Freud à titre de professeur de philosophie dans un lycée technique. Toutefois, un malaise persistait : « Je savais qu’il existait dans cette pensée un genre de sorcellerie à manier avec d’infinies précautions » (p.27). Afin d’éradiquer ce doute, il procède à une lecture chronologique in extenso de l’œuvre de Freud et de sa correspondance, ainsi que de livres d’historiens critiques.
C’est ainsi que le philosophe met à jour certains biais tant dans les théories de Freud que dans leur élaboration. Non seulement Freud semble délibérément nier ses sources d’inspiration, mais il semble avoir créé chacune de ses théories en procédant à une analyse de son soi, pour ensuite les appliquer à ses patients. Ce qui conduit le philosophe à conclure que Freud « n’a jamais souhaité qu’on puisse expliquer son œuvre par sa vie, sa pensée par son autobiographie, ses concepts par son existence » (p.44). Onfray se défend toutefois de vouloir juger, mépriser ou ridiculiser Freud. Il veut démontrer que la psychanalyse est une discipline qui « fut d’abord une aventure existentielle autobiographique, strictement personnelle : un mode d’emploi à usage unique, une formule ontologique pour vivre avec les nombreux tourments de son être » (p.39).
Ce livre est la rencontre de deux hommes, de deux façons de penser antagonistes. D’un côté, Freud, fondateur d’une approche désormais incontournable, et de l’autre, un philosophe qui s’inscrit résolument à contre-courant et qui doit déboulonner l’auteur qui lui a fait découvrir un monde à part à travers ses écrits sur la sexualité, et qui a possiblement pavé la voie vers l’hédonisme, une approche que le philosophe embrasse désormais.
La méthode et les arguments de Michel Onfray sont parfois maladroits, mais le plaisir inénarrable lié à la lecture d’un livre de ce philosophe ne peut en aucun cas être amoindri par les commentaires vitrioliques que l’ouvrage a soulevés. De toute façon, rares ont été ses publications qui ont laissé indifférent.
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Michel Onfray
LE CRÉPUSCULE D’UNE IDOLE
L’AFFABULATION FREUDIENNE
Grasset, Paris, 2010, 612 pages.