Jacques Lanctôt : Les plages de l’exil
Publié le 30 octobre 2010 par manouane dans la (les) catégorie(s) Billet

Décembre 1970. Jacques Lanctôt, alors âgé de 25 ans, arrive à Cuba à bord d’un C-130 Hercules de l’armée canadienne, en compagnie de sa femme Suzanne, son fils Boris, sa sœur Louise et son mari, ainsi que de Jacques Cossette-Trudel, Marc Carbonneau et Yves Langlois. En échange de la libération du diplomate britannique James Richard Cross, le gouvernement fédéral de Pierre-Elliott Trudeau a octroyé aux membres de la cellule du Front de libération du Québec (FLQ) et à leurs conjointes un sauf-conduit vers Cuba. Même s’ils se retrouvent sur une île dont les plages font rêver de nombreux Québécois, c’est le début d’un long exil qui n’a rien d’exotique.
« Le pire, dans l’exil, c’est l’attente. Lorsqu’on part pour mieux revenir, comme c’était mon désir le plus profond, chaque jour qui passe est une souffrance indescriptible. Si en prison on peut compter les jours avant la libération – ce n’est pas pour rien que le temps d’attente avant qu’un prévenu reçoive sa sentence compte pour le double –, l’exil ne permet pas un tel calcul. Je ne dis pas que la prison est une meilleure condamnation que l’exil; je dis seulement que l’exil peut facilement sembler éternel, alors qu’en prison le décompte des jours qu’il reste à passer ‘en dedans’ est un geste salutaire, une porte ouverte vers la libération définitive » (p.45).
Les membres du groupe n’ont aucune obligation, sauf celle de ne jamais dévoiler leur véritable identité. Ce qui deviendra lentement insoutenable est le fait qu’ils sont installés avec leurs maigres possessions dans un luxueux hôtel.
« Dans mon cas, l’hôtel venait confirmer davantage mon statut d’exilé et ajoutait à la précarité de ma situation, car il est le lieu par excellence de l’attente, du passage éphémère d’un endroit vers un autre. On ne vit pas à l’hôtel, on ne fait qu’y séjourner un bref moment » (p.47).
À Cuba, où règne une ambiance postrévolutionnaire, Jacques Lanctôt et ses amis ne peuvent s’empêcher de penser à celle qui permettrait au Québec de devenir indépendant. Ils tenteront de suivre un entraînement dans un camp militaire pour apprendre les techniques des guérilleros dans le but de les appliquer une fois de retour au Québec, mais en vain. Pour ces felquistes, l’indépendance de la belle province n’est qu’une question de temps, au point où Jacques Lanctôt n’enregistrera pas sa fille née à Cuba auprès de l’ambassade canadienne, persuadé qu’elle pourra détenir la citoyenneté québécoise sans avoir au préalable à obtenir celle du Canada.
Pour se sentir utile, Jacques Lanctôt, en compagnie de Pierre Charrette et d’Yves Langlois, travaille au journal révolutionnaire cubain Granma où il traduit en français et en anglais des nouvelles politique, culturelle et sociale, y compris les longs discours de Fidel Castro, afin d’alimenter à l’étranger les groupes de solidarité avec Cuba.
Quatre ans plus tard, avec l’aide des autorités, les Lanctôt quittent illégalement Cuba pour s’installer en France. Le pays qui a fait naître la Chartre des droits de l’Homme était à l’époque une terre d’accueil par excellence. À Paris, Jacques Lanctôt se trouve un emploi et s’implique auprès de groupes de soutien aux luttes de libérations nationales menées par des exilés du Brésil, d’Argentine, de Bolivie ou d’Algérie.
Au fil des pages, Jacques Lanctôt raconte les neuf années qu’il a passées en exil pendant la décennie des années 1970, marquée par de grands bouleversements tant au niveau social que politique. Le récit fascinant d’un homme qui, à sa manière, à participé à l’Histoire du Québec.
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Jacques Lanctôt
LES PLAGES DE L’EXIL
Stanké, Montréal, 2010, 317 pages.