Lundi 25 septembre 2023

Maurice G. Dantec : Babylon Babies

Publié le 01 juin 2008 par dans la (les) catégorie(s) Billet

Maurice G. Dantec : Babylon Babies

Mathieu Kassovitz s’est fait connaître en tant que réalisateur avec les films La Haine (1995), Les Rivières pourpres (2000) et Gothika (2003). Il récidive avec Babylon A.D., qui devrait être sur nos écrans cet été. Ce film est basé sur le roman de Maurice G. Dantec, intitulé Babylon Babies, paru en 1999 chez Gallimard. Rencontre avec l’auteur d’un livre à mi-chemin entre la science-fiction et la prophétie.

Manouane Beauchamp : Votre roman Babylon Babies est très noir. Diriez-vous qu’il s’agit d’une œuvre de science-fiction ou d’un roman prophétique?

Maurice G. Dantec : Dans Babylon Babies, ce qui m’intéressait, c’était de voir l’emprise de la technique sur l’humanité. Parce qu’il n’est pas possible, je pense, de comprendre le XXe siècle sans comprendre l’importance de la technique.

Les questions que je soulève dans ce roman sont : Où va la technique? Comment se fait-il qu’elle se retourne contre nous? Pourrait-elle faire renaître les forces de l’esclavage? Parce que la technique n’est pas un jouet, c’est un défi, un challenge en soi. Mais pour de bon. Ce n’est pas seulement la voie qui mène au confort, mais aussi celle qui mène à la bombe nucléaire. C’est la même chose avec la pierre taillée, elle a été inventée pour la chasse, mais si toutefois on a pu l’utiliser pour tuer un membre gênant de la tribu, cela n’aurait pas été considéré comme un homicide, mais comme un sacrifice. La conception même de la technique est inséparable de la notion de sacrifice. Et ç’est malheureusement un élément important qui a été oblitéré dans l’analyse de la technique.

Au début du récit de Babylon Babies, l’humanité, complètement dominée par la technique, est en voie de désagrégation politique, sociale et culturelle. La technique menace de détruire, d’anéantir le monde qu’elle a aidé à fabriquer. Mais bizarrement, voilà qu’à un moment donné s’amorce un processus de réversion. La technique se retourne malgré elle contre l’humain. Dans le récit, un virus apparaît qui menacera tant l’humanité que le monde de la technique. Autrement dit, la technique va se retourner contre elle-même en utilisant les humains. Ainsi l’Homo sapiens, après avoir éliminé l’homme de Néandertal, voit-il sa propre fin arriver avec l’apparition d’une forme de vie supérieure.

Le message que je veux faire passer avec Babylon Babies est qu’il ne faut pas s’attendre à ce que la science fabrique un monde meilleur. Ce qui va se passer, c’est une convergence de catastrophes, imprévisibles dans le monde de la science, qui vont engendrer quelque chose d’autre. Je ne sais pas comment ça va se produire, je veux simplement démontrer comment cette convergence peut se produire. Dans 10 ou 20 ans, pas plus selon moi, les sciences comme les nanotechnologies, l’intelligence artificielle, les sciences de la génétique, la biochimie moléculaire, le travail sur les matériaux et les sciences de l’information vont converger mais pas d’une façon programmée. C’est alors qu’une découverte inattendue, soudaine, pourrait avoir de graves conséquences sur l’humanité.

Manouane Beauchamp : Ainsi, ce livre a une saveur prophétique?

Maurice G. Dantec : C’est au futur de décider. L’idée est de suivre la convergence. Le romancier doit être comme un sismographe. Moi je crois en la convergence des catastrophes. Elles seront autant scientifiques que géopolitiques et métaphysiques. Mon idée est de montrer comment cette masse critique s’agrège et détonne. Un roman pour moi doit créer une onde de choc dans la gueule du lecteur; de manière physique, détruire quelques neurones. C’est fait pour ça. C’est une arme, c’est comme ça que je le vois. Alors, prophétique? Je ne sais pas…

Manouane Beauchamp : Est-ce que vous vous inspirez de livres scientifiques ou de l’actualité?

Maurice G. Dantec : Je m’inspire de la science dans mes romans, mais j’aime bien me laisser influencer par des types qui ne soient pas mainstream. Je m’intéresse toujours aux outlaws. Quand je parle de science, je m’intéresse aux mavericks, ceux qui sont on the edge. Des types qui ont une démarche scientifique mais qui ne sont pas des hérétiques.

Manouane Beauchamp : Kassovitz a choisi votre roman pour faire son film. Pourquoi ce livre?

Maurice G. Dantec : Je ne sais pas, il faut lui demander. Il a dû aimer le roman. Vous savez, à partir du moment qu’un producteur paye, il a le droit de faire ce que bon lui semble avec une œuvre. C’est comme au poker, tu payes pour voir. Après, il a toute sa liberté en tant qu’auteur. Peut-être que le film ne ressemblera pas au livre sous certains aspects, je n’en sais rien. En fait, pour être franc, c’est son problème parce que c’est lui le réalisateur.

Ceci dit, j’ai vu, non pas le scénario final, mais un synopsis du film. C’était tout à fait aimable de sa part de me le communiquer, et j’ai pris la peine de lui faire parvenir quelques annotations par-ci, par-là, mais elles étaient purement consultatives. Il a acheté les droits, le livre ne lui appartient pas, mais les droits pour faire un film lui appartiennent.

Manouane Beauchamp : Quelle partie de votre roman espérez-vous voir bien représentée ?

Maurice G. Dantec : Montréal. J’adore Montréal, avec le Plateau et le Mile-End. C’est une ville superbe qui a toutefois été un peu massacrée, architecturalement parlant. Cela dit, je ne demande pas à Kassovitz de respecter les détails scénaristiques, mais je voudrais éventuellement qu’on perçoive dans le film la métaphysique qui est derrière le roman, à savoir ce que représentent les problèmes de la technique, de la science, du clonage, des religions, etc. S’il arrive à se dépatouiller avec ça et à faire un film qui tient la route, tant mieux.

Manouane Beauchamp : Quelles sont vos sources d’inspiration?

Maurice G. Dantec : C’est mon cerveau qui opère, à partir du monde tel qu’il est. Un roman, j’ai toujours pensé que c’était quelque chose de relativement autonome par rapport au romancier. Je pense que le romancier est un instrument. Le roman lui-même demande à vivre, comme un enfant. Durant la phase de la conception, l’auteur mélange son ADN avec celui du roman. Parce qu’il faut que le roman existe, qu’il ait une origine et un sens, mais surtout, son existence propre. Et l’auteur doit faire en sorte que ce dernier existe par lui-même.

Sincèrement, quand j’écris, je n’ai pas de plan, sauf quelquefois je me fais des grilles afin de conserver une logique dans les événements. Je veux que la mécanique de haute précision soit parfaite, histoire de ne pas se perdre. Mais en ce qui a trait à la narration, c’est du one shot.

Manouane Beauchamp : Et qu’en est-il des personnages?

Maurice G. Dantec : Ça non plus ce n’est pas calculé. Ça ne m’intéresse pas le calcul dans la littérature. Sinon, c’est comme un story board : tu remplis les cases sans aucun intérêt. À la limite, pour certains lecteurs, ça peut présenter un intérêt, quoique moi, ce genre de livres, je les sens arriver gros comme des camions. Et surtout, quel ennui pour l’écrivain! Tu ne fais aucune découverte, tu n’as aucune surprise, tes personnages ne te surprennent pas puisqu’ils font ce que tu as prévu. Bon, d’accord, je sais plus ou moins ce qu’ils vont faire, mais pas à la page près.

Manouane Beauchamp : Pour terminer, comment voyez-vous l’avenir de l’humain?

Maurice G. Dantec : Il n’a pas d’avenir tel qu’on le connaît. Il va y avoir autre chose. Il va y avoir un grand nettoyage, c’est évident. Je suis évolutionniste, mais l’évolution suit un plan divin. Parce que l’évolution est beaucoup plus complexe que ce que nous pouvons concevoir. Ainsi, je crois à une évolution sur le plan divin. L’humain… On peut voir ça comme une expérience qui a mal tourné…


Maurice G. Dantec
BABYLON BABIES
Gallimard, Paris, 2001, 719 pages.

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